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Libres expressions

1904-Finale nationale Slam  -  par Bz

24 poses sans flash, deux jours à Paris.
par BZ

BZ00.jpg

A Paris pour la finale nationale de slam France-Québec 2019, j’ai eu l’idée d’utiliser le « format photo Â» pour rendre compte de l’évènement. Au-delà du récit de la finale à proprement parler, il s’agit d’une suite d’instantanés qui racontent mon ressenti de l’expérience, en toute subjectivité.

24 poses, comme un touriste has-been avec un appareil jetable... sans flash, c’est-à-dire sans effet de manche, brut de décoffrage.

Un autre y aurait vu autre chose ; voici ce que BZ  y a vu.

(La vidéo de toute la soirée est accessible par un lien plus bas...)

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1- Info SNCF (SMS du 24-04-2019 19:52) : « grève du prestataire
de la restauration à bord. Le service bar de votre train 2537 du 25/04
à destination de PARIS EST est susceptible de ne pas être assuré.
Pensez à prendre vos dispositions avant de monter à bord. Â»
C’est bon, j’ai des petits gâteaux et de la bière, je lis les psaumes,
tout va bien. La SNCF est mon « prestataire Â» de transport professionnel
quotidien depuis dix ans, c’est dire si les grèves, ça me connaît.
J’élabore mentalement un petit laïus sur l’influence de la poésie hébraïque
dans la structuration et le rythme de mes textes,
si jamais quelqu’un me demande...

2- J’avais oublié qu’à Paris, un kebab s’appelle aussi un gyros, et peut être
servi par des grecs, et non par des turcs. Ca change de Lunéville…

Pour le coup, la viande ressemble vraiment à du veau, et pas à du poulet
réhydraté pseudo-hallal, mais je peux me tromper.

Merci Platon, merci Platon…

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3- Je reçois un SMS d’une collègue : Jimmy est décédé ce matin.

OK, merci de m’avoir prévenu. Je dirai une prière pour lui.


La journée commence sur les chapeaux de roue.

 

4- La rue du chat qui pêche...

Souvenir d’un guide du routard une vingtaine d’années plus tôt.

Depuis, je m’impose, en rituel, de la traverser dans les deux sens
chaque fois que je visite la ville.

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BZ05.jpg 5- Notre-Dame. De loin, car un cordon de sécurité empêche
de l’approcher. Toujours aussi belle, malgré la douleur.
« Comment allez-vous, jeune fille ?
- Ne t’inquiète pas pour moi, j’en ai vu d’autres. Je me refais une beauté
et j’arrive. Prends donc une bière en attendant.
- C’est vrai, vous étiez là avant tout le monde, vous y serez encore quand
on sera parti. Quand je vous regarde, je sais qu’il y a de l’espoir.
- Ta fille est née à l’heure où la flèche est tombée, il est là, l’espoir ;
viens me voir avec elle quand elle aura l’âge de comprendre. Allez,
sauve-toi, maintenant, une vieille dame n’aime pas qu’on la voie en pyjamas.
- Merci pour tout, madame. A tout vite. Â»

6- Un peu plus loin, je découvre le monument-bunker
à la mémoire des déportés de la seconde guerre mondiale,
que la cathédrale avait jusque-là caché dans son ombre…

On me fait ouvrir mon sac à l’entrée ; personne ne s’inquiète de savoir
si j’ai un couteau à cran d’arrêt dans la poche…
Un groupe de jeunes découvre sur des photos
ce que j’ai découvert à leur âge.
Ce qu’on est condamné à tous découvrir un jour.
Comment j’expliquerai ça à ma fille ?

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BZ07.jpg 7- Dans le square du Châtelet, je cherche en vain un coin discret pour
satisfaire un besoin naturel. En tournant autour de la tour, je croise
trop souvent le regard d’un type qui tourne en sens inverse.
Il a, lui aussi, l’air coupable, traqué, de celui qui veut pisser n’importe où,
quand quelqu’un a démasqué son diabolique dessein... Ou alors, c’est un lieu
commun pour rencontres entre gays, et je suis une victime potentielle…
Je cours jusqu’aux Halles et me rabats sur les toilettes
de la médiathèque
 La Fontaine
Là encore, vigi-pirate se moque des pirates.

8- Il n’y a guère qu’à Paris qu’on peut voir une femme agonir littéralement
d’insultes pendant dix minutes un cyclo-motard qui s’est garé sur le
trottoir pour livrer un paquet dans un restaurant.

Il n’y a guère qu’à Paris que le cyclo-motard en question résiste à la pulsion
tout à fait légitime de l’assommer d’un coup de casque !

Ah, Paris sera toujours Paris !

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9- Accoudé aux barrières devant la tombe de Jim Morrison,
je récite mes textes à mi-voix. Entre poètes, on se comprend.

Toutes proportions gardées, bien sûr...

Je me demande parfois si c’est un blasphème rock que de penser
que 
Other Voices et Full Circle, écrits et enregistrés par le groupe
après sa mort, sont bien meilleurs que 
L.A. Woman et Morrison Hotel,
que la critique tient généralement pour des chefs-d’oeuvre ?

10- Tomber par hasard sur la tombe que l’on voulait voir, sans savoir
où elle est, et sans la chercher ? Au Père-Lachaise, vous y croyez ?
Alain Bashung me fait un clin-d’oeil au micro-sillon. Je m’amuse à imaginer
que sa tombe est une sorte de papa-mobile à bord de laquelle il sillonne
le cimetière dans son costume de dandy-fantôme,
pour venir à la rencontre de ceux qui ont besoin de lui.
« Allez mon grand, t’as l’air stressé, viens, on va faire un tour. Â»
Et il m’embarque avec lui pour un bout de route. Un prof fait la visite avec
un groupe d’ados, dont aucun n’a jamais entendu parler de Mr 
Baschung.
L’inscription sur la pierre compte une lettre de plus.
« Je ne sais plus si c’est le S ou le C... Â», s’interroge le prof, prêt à sauter
sur son i-phone pour rechercher la précieuse information.
Je réponds « Le C Â».
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11- Une petite larme sur la tombe de Modigliani...

L’image de Jeanne Hébuterne reste pour moi indissociable de celle
d’Elsa Zilberstein dans le film de Mick Garis.
Alors qu’elle est enceinte de huit mois, ne supportant pas l’idée de vivre
sans lui, elle le suit chez les immortels.

Pauvre Jeannette ;
gravé sur la pierre, 
compagna devota fino all estremo sacrifizio.
Elle avait 22 ans.

12- Présentations Impasse Lamier, avec les poètes qui attendent
l’ouverture du Pan Piper. Dim, Tim, Manouchka, Gaby, etc.
« Vous venez d’où ? Vous aussi, vous avez été sélectionnés sur tournoi ?
On s’appelle par nos blazes, ou par nos vrais prénoms ? Â»
Quelqu’un cite un slameur (
slamer?) anonyme qui aurait dit, en substance
« Seuls les cons courent pour les concours. Â»
Sûrement quelqu’un qui n’en a jamais remporté, à moins qu’il n’ait,
même vainqueur, qu’une piètre opinion de soi !
Confronté à ces artistes qui ont l’habitude des tournois, j’essaie de me
faire mousser en parlant des festivals de fanfare en Belgique
avec le SBBL, des tournées en Ardèche avec les Brunos Bis.
Un soir de festival à Plainfaing (88, représente), on a partagé l’affiche
avec tonton David. Chacun sa route, chacun son chemin…
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13- Visite de la salle, un petit tour sur la scène, où sont projetés les dix
mots sous le logo de France-Québec. Les toilettes, le coin fumeur, merci,
j’ai arrêté ; les loges, douche, canapé dans lesquels on s’enfonce, chips
dans des assiettes en plastique et boissons dans frigo...
Tout le monde a faim mais personne n’ose réclamer ; on écoute Michel
parler du petit restau au coin où, paraît-il, la salade de saumon
est très honnête. Je regrette de ne pas avoir acheté
le sandwich 
Sodebo Ã  3,49 € au petit Casino du coin.
Pilote le Hot se présente. Il essaie de coller nos noms sur nos têtes
et révise dans l’intimité les blagues de potache qu’il refera en public
tout à l’heure. Si j’ai bien compris, personne n’a compris pour le moment
à quelle heure la soirée commence.
Ce qu’on sait c’est qu’à 22h30 on doit avoir vidé les lieux.

14 Discours des officiels, présentation du jury, invités d’honneur,
poètes de calibrage, le protocole  laisse largement
le temps de se demander ce qu’on fait là.
Comme les discours présidentiels aux funérailles des célébrités,
c’est un sas de décompression qui tient curieusement la réalité à distance,
nous sevrant définitivement de nos émotions au profit d’une union sacrée :
la poésie 
vs les institutions.
Au passage, je me dis que Tanguy et Fred à Nancy
sont vraiment une équipe du feu de dieu,
et le Royal-Royal un endroit magique.
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15- Le slam, en anglais, c’est une claque ; je ne veux pas ressembler
à un Jacques Brel de pacotille, raide comme un piquet derrière son pied
comme sur les images d’archives en noir et blanc.
Sur scène, je prends le micro dans la main gauche, et m’appuyant
de la droite sur un bâton de berger invisible, je commence mon ascension
du Haut-Slam, mon Puy Mary intérieur, ma Brèche de Roland
en moins de trois minutes…
De retour à ma place après mon passage, je sens la main de Tim
qui s’appuie affectueusement sur mon épaule tandis qu’il me glisse
à l’oreille « Toi, t’es un grand malade ! »
Pas un grand 
corps malade ; je pense qu’il fait référence à ma prestation.
Voilà un compliment qui relève largement mes notes médiocres.

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Pour revoir et écouter l'ensemble de la soirée et toutes les présentations,
CLIQUEZ CE LIEN ou sur l'image ci-dessus

et, pour voir directement
la prestation de Bz, notre représentant lorrain, AVANCEZ JUSQU'A 1H27 (environ)

16- La barmaid tristement désoeuvrée derrière son comptoir.
Comme personne ne commande à boire, je vais lui demander
ce qu’elle a à proposer. Bien qu’on ait ce qu’il faut dans les loges,
je ne me vois pas partir d’ici sans avoir 
payé un verre.
Malheureusement, la bière n’est pas assez forte, et le whisky, trop cher.

Je lui présente mes hommages, et après m’être assuré qu’elle comprend
bien mes intérêts et qu’elle ne m’en voudra pas de l’avoir tirée pour rien
de sa torpeur, et vais chercher une 8.6° dans mon sac à dos.

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17- Alex arrive en cours de soirée...
Son regard d’ami, mais aussi d’artiste m’importe bien davantage
que tous les jurys. Lui qui m’a si souvent dit :
« Tu as du talent, tu devrais te remettre à écrire Â»,
je ne voudrais surtout pas le décevoir.

Le voyage au Québec, je l’aurai fait. Je le ferai tout à l’heure,
quand il me dira « Il est bien, ton texte Â». Et je le referai,
et bien au-delà, chaque fois que mes mots toucheront quelqu’un.

18- Après le Pan Piper, rendez-vous au Culture Rapide. 20 minutes à pied.
Ceux qui prennent la trottinette se trompe de direction,
malgré le GPS, et nous arrivons ensemble.
Un verre offert, c’est la loi, et la loi, c’est la loi (
nique la loi!).
Dessins, graffitis, stickers partout sur les murs, le plafond, le mobilier.
J’adore ce genre d’endroit, malgré son côté bobo.
Pour un bouseux de province, ça sent les vacances.
Un colimaçon dans lequel une anguille peinerait
à s’introduire descend aux toilettes.
Plus tard, je prends deux 
barons Picon. J’apprécie le barman qui ne me
demande pas ce que c’est qu’un baron, qui ne me force pas à commander
« une pinte Â». 6,5 € le baron, j’en tombe de mon tabouret :
Qui a dit que la vie était chère à Paris ?

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19- Au Culture Rapide, notre poisson Pilote, bien dans son élément,
se révèle bien meilleur slameur qu’animateur.

J’ai enfin l’occasion de faire mon deuxième texte. Loin de la tiédeur
des institutions, je retrouve l’idée que je me fais d’une scène slam.
D’ailleurs, j’ai l’impression que tout le monde y trouve son compte.

La vraie soirée, finalement, elle est là.

20- On court vers le métro pour attraper le dernier 2 qui nous dépose
à Nation ; le dernier 9 me passe sous le nez, et Alex rate son 6.
Un agent RATP m’escorte poliment vers la sortie avec un groupe de jeunes
bien décidés à rentrer chez eux par les tunnels, en rampant s’il le faut.
Dehors, je partage une bière et un bout de chemin avec un italien
au français impeccable. Sa femme est française, je crois.
« Tu n’es pas obligé de parler en italien, tu sais, je comprends le français…
- OK. Â» J’aurais préféré, mais bon.
Nous nous séparons et je continue tout seul ; arrêt à l’épicerie,
une Rince-Cochon aux fruits rouges pour la route, tout droit jusqu’au tram,
puis à gauche. Au dernier rond point, je demande mon chemin
à un type dans une camionnette.
« L’IBIS porte de Montreuil, oui, je vois, viens je te dépose.
- OK, merci. - J’espère que c’est le bon hôtel ? - T’inquiète. Â»
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21- Réveil dans la nuit, je ne sais pas où je suis, je tâtonne,
je ne trouve pas la lumière, je pourrais être n’importe où sur terre,
en mer, voire dans l’espace, pour ce que j’en sais.
Ou dans une BD de Daniel Clowes.
A la fois hyper-réaliste et complètement braque.
Je ne sais même pas si je n’ai pas dormi avec la tête au pied du lit.

Première nuit sans ma fille ; je guette sa respiration.
Je la retrouve bientôt...

22- Au matin...

De la fenêtre de ma chambre au 10ème étage de l’hôtel,
on peut voir, tout à fait sur la gauche, au loin (comme Armstrong,
de la lune, a, dit-on, dit voir sa maison
(mais n’était-ce pas plutôt Aldreen?), la tour Eiffel.

Décidément, je ne serai pas venu pour rien.

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23- Je me fais un petit déjeuner digne des rois de France,
je serai quitte d’acheter un sandwich dégueulasse à manger dans le train.

Petit à petit, les poètes se retrouvent dans la salle à manger.
« Salut, bien dormi ?
- Non, mais j’ai l’habitude. - Pas trop bu ? - Si, mais j’ai l’habitude. Â»

Pour ma part, le voyage est fini, je suis déjà sur le retour,
je n’ai pas trop envie de parler,
je dis vaguement au revoir à tout le monde.

24- J’achète une Vittel et un diabolo menthe dans un Carouf’ ou un G20
entre Gare du Nord et Gare de l’Est.

Echange avec un type dans le hall sur nos expériences d’ouverture
de boissons gazeuses un peu trop secouées,
qui laissent des tâches sur les pantalons,
induisant les autres à penser qu’on s’est fait pipi dessus.

La poésie, c’est bel et bien fini.

BZ24.jpg

BZ
Nancy - 25, 26 avril 2019

(Illustrations JLC)

Bz.jpg

Publié le 07/07/2019 : 15:33   Tous les billets   Prévisualiser...  Imprimer...  Haut


Commentaires

Réaction n°1  -  par BZ

le 01/10/2020 : 22:55

Merci pour les petits dessins!
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